Newsletter perspectives 2023 : Dans la peau de Jérôme Powell et Christine Lagarde

L’année 2022 pourrait à bien des égards être qualifiée d’« annus horribilis » (comme 2020, 2018, 2015, 2011, 2008), malgré les progrès encourageants réalisés dans de nombreux pays pour endiguer la pandémie de COVID-19. La flambée des tensions géopolitiques provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie a plongé le monde, et l’Europe en particulier, dans la plus grave crise énergétique depuis les années 1970. Les Goulots d’étranglement provoqués par les perturbations liés au Covid et la très forte demande des consommateurs à la suite de la réouverture post pandémie ont exacerbé les hausses de prix. En réponse à l’inflation qui avait de moins en moins le caractère temporaire, les banques centrales des quatre coins du monde ont resserré leur politique monétaire à un niveau qui n’avait plus été observé depuis une quarantaine d’années, entraînant des pertes considérables sur les marchés financiers et particulièrement sur le marché obligataire : la hausse des taux d’intérêt de pratiquement 3% sur le 10 ans français a effacé 10 années de performance laborieuses, marquées par les taux négatifs. Le marché actions a évidemment souffert mais plus dû à une compression des multiples qu’à une baisse des résultats qui ont très bien résisté. Le krach a surtout concerné les valeurs à duration longue comme les technologies à commencer par les GAFAM. Le Nasdaq de retour sur les 10 000 points a effacé tous les excès de la bulle COVID. Enfin, la déroute est totale sur les cryptomonnaies.

Que peut nous réserver 2023 alors que nous restons confrontés à des défis majeurs :

Le conflit en Ukraine va-t-il se poursuivre ?

Le prix du gaz européen va-t-il exploser à la hausse en prévision de la reconstitution des stocks pour l’hiver 2023 et compte tenu de l’arrêt des livraisons de gaz russe ? L’électricité en Europe va-t-elle atteindre les prix stratosphériques de 2022 ? Le pétrole va-t-il repasser les 100 $ le baril avec la réouverture chinoise ?

La Chine va-t-elle complètement tourner la page du COVID et rouvrir son économie ? La tension avec Taiwan va-t-elle cesser ? les relations vont-elles se réchauffer avec les Etats Unis ? Xi Jinping va-t-il entraîner son pays dans une dictature totale mortifère maintenant qu’il a les pleins pouvoirs ?

Les Etats vont-ils devoir limiter leur « quoiqu’il en coûte » qu’ils utilisent désormais à chaque crise, face à la remontée des taux ? Le poste intérêt de la dette va il devenir un vrai sujet de préoccupation pour les pays surendettés ? L’Europe va-t-elle rester unie alors que des dissensions sont de plus en plus affirmées entre la France et l’Allemagne entre autres sur les sujets aussi divers que la facture énergétique, la défense ou la dette ?

La récession tant annoncée va-t-elle se produire et avec quelle intensité ? Les résultats des entreprises vont-ils être affectés par le ralentissement économique ou vont-elles une nouvelle fois s’adapter à l’environnement contraire et faire preuve de résilience ?

Les Banques centrales vont-elles poursuivre leur hausse des taux pour terrasser définitivement l’inflation ou devoir faire preuve de plus de souplesse pour éviter une récession trop forte ?

Etant donné que nous ne sommes ni Vladimir Poutine, ni XI Jinping, Emmanuel Macron, Joe Biden ou Olaf Scholz, nous ne prétendrons pas répondre aux 4 premières et tous les gens qui affirment pouvoir vous répondre vous trompent : ils n’en savent rien. Qui aurait pu penser il y a juste 3 semaines que la crise énergétique européenne dont on nous avait dit qu’elle provoquerait des coupures d’électricité catastrophiques pendant l’hiver allait être résolue grâce à une météo estivale. S’il faut avoir aussi des talents de météorologues …

Nous nous limiterons cette année dans nos prévisions à essayer de nous mettre dans la peau ou la tête de M. Powell ou celle de Mme Lagarde. L’exercice est périlleux mais déterminant pour tracer une ligne pour 2023.

Le reste n’a de toute manière pas beaucoup d’importance, tant la tendance des marchés reste et restera dictée par les Banques Centrales.

L’année dernière nous écrivions à la même époque :
« Que vont faire les banques centrales de moins en moins indépendantes des pouvoirs politiques ? La Réserve Fédérale a du pain sur la planche. Son plus récent “dot plot” suggère trois hausses de taux cette année (25 points de base chacune) et le marché à terme des fonds fédéraux en voit quatre. Nous pensons qu’elle n’augmentera probablement les taux que deux fois cette année. En Europe, la BCE ne fera rien. L’inflation se maintiendra à des niveaux élevés et avec des taux d’intérêt réels négatifs de 4 à 5%, cela permettra d’euthanasier les rentiers et de rembourser la dette en monnaie de singe. »

Nous nous sommes totalement trompés : M Powell a relevé 7 fois ses taux pour les porter de 0 à 4,5% et Mme Lagarde contrainte et forcée, les a relevés de 2.5%.

Pour notre défense, la Fed affirmait début 2022 que l’inflation était transitoire et qu’elle remonterait ses taux à 0.75%. Se rendant compte qu’elle faisait fausse route, elle a changé complètement de discours en mars pour commencer un cycle de hausse aussi brutal que celui de M. Volcker en 1980. De plus, M Biden, pourtant en pleine campagne de Midterm et contrairement à ce que faisait son prédécesseur, n’a mis aucune pression sur J Powell, la FED reprenait une certaine indépendance perdue sous Trump. En Europe, Mme Lagarde n’a pas eu d’autres choix que de relever ses taux, avec beaucoup de retard, l’inflation supérieure à 10 %, la faiblesse de l’euro et la pression de l’Allemagne ont eu raison de sa politique de taux d’intérêt négatifs.

Les banques centrales ont un vrai problème de crédibilité et il va falloir qu’elles le règlent (ce que le marché a l’air très réticent à accepter) si l’on souhaite sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes en ce qui concerne la hausse des prix. La résilience des marchés de l’emploi que ce soit en Europe (6.5% de chômage, un plus bas sur la dernière trentaine d’années) et aux US (3.5% de chômage un record) pose toujours un vrai problème vis à vis de ce que souhaitent nos banquiers centraux : à savoir une baisse de la consommation, des marchés ou de la croissance.

Que vont faire les Banques Centrales en 2023 ?

Elles vont faire ce qu’elles ont dit. Et qu’ont elles dit ? La Fed va relever encore 2 ou 3 fois ses taux pour les porter à 5/ 5.5 % et la BCE va les porter à 3.25/ 3.50 % au cours du 1er semestre. Ensuite ils resteront sur ces niveaux élevés au moins jusque fin 2023 et peut être au-delà si l’objectif d’inflation de 2% / 2.5% n’est pas rapidement atteint en 2024.

Le marché actions n’y croit pas une seule seconde, ce qui explique son rebond impressionnant depuis septembre 2022. Wall Street pense que le fameux pivot (moment où les BC vont commencer à baisser leur taux) se produira déjà en 2023 dès que les chiffres macro se détérioreront et que l’inflation commencera à sérieusement baisser, ce qui est déjà acquis.

De notre point de vue, les BC ont besoin de regagner en crédibilité et devront conserver une politique restrictive beaucoup plus longtemps que ne le pense le marché. Elles se sont totalement trompées sur l’inflation en 2021 et ont été beaucoup trop laxistes. Elles ne voudront pas renouveler la même erreur quitte à se tromper une nouvelle fois en étant restrictive trop longtemps provoquant une récession plus profonde. Il n’en reste pas moins que l’inflation s’est réveillée en 2021 / 2022 et même si elle redescend, elle risque de rester à des niveaux largement supérieurs aux sacrosaints 2%. La reflation mondiale en cours devrait se poursuivre en 2023 alors que l’économie mondiale entre dans la dernière phase de son cycle économique. Cette phase devrait durer plus longtemps qu’habituellement car l’héritage des politiques Covid a généré un choc de la demande important et une tension élevée sur les marchés de l’emploi, produisant des salaires plus élevés. Ainsi, l’inflation cyclique devrait rester supérieure aux objectifs des banques centrales, et ce, même si les chocs sur l’offre s’estompent. Sur le plan structurel, le monde post-Covid pourrait devenir plus inflationniste en raison de la régionalisation des chaînes de production ainsi que d’une inélasticité des prix accrue venant de la demande alimentée par les investissements des Etats dans les énergies renouvelables et la défense. La combinaison des facteurs cycliques et structurels devrait inciter les banques centrales à poursuivre le resserrement de leur politique monétaire ou, du moins, à maintenir plus longtemps leurs taux d’intérêt à des niveaux restrictifs.

Quelle stratégie adopter en 2023 ?

Pour résumer, tant que les Banques Centrales resteront restrictives, les marchés devraient rester volatils et en tendance baissière ou dans le meilleur des cas flat.

Pourtant, le climat demeure euphorique, à l’image de la météo très clémente. Ce début d’année est tonitruant : avec un gain de près de 8%, le marché a réalisé en deux semaines la performance moyenne d’une année. Le CAC à 7 000 points était notre objectif de fin 2023 (après un passage vers les 5 500 points) ! Depuis début octobre, lorsque le CAC 40 valait 5 600 points environ, c’est-à-dire son évaluation théorique selon nos calculs, l’indice français a progressé de 24%, et le cours de l’€, de 12,5%.

Nous sommes dans une sorte d’euphorie autoentretenue par des anticipations trop optimistes :
1/ les investisseurs ne voient que la future baisse des taux alors que la hausse n’est pas terminée et déjà un redressement économique alors qu’il faut plus parler de stagnation en 2023 et 2024 voire de récession.
2/ l’hyperliquidité qui a provoqué tant de bulles reste encore d’actualité (on n’enlève pas 8 000 Mds en 6 mois !) mais va être mise à l’épreuve par la poursuite, pendant encore longtemps, des politiques monétaires restrictives et du « reverse Quantitative Easing ».
3/ Le « pivot » des taux monétaire va se faire attendre car l’inflation sous-jacente va rester supérieure à 3% pendant des années. Des taux courts à 3.5% en Europe et 5% aux USA, ce n’est plus la même chose que quand ils étaient à 0. Les conséquences sur l’activité économique vont se faire sentir tôt ou tard.

Dans ce contexte, nous recommandons toujours une grande prudence. Il est tout de même assez étonnant d’avoir un CAC revenu quasiment au plus haut alors que l’Europe a la guerre à ses portes, traverse une grave crise énergétique et que la BCE est de plus en plus restrictive dans sa politique monétaire. Il est vrai que les résultats des sociétés sont extrêmement résilients mais devraient finir par baisser en 2023.

Néanmoins c’est une prudence optimiste car le moteur de la performance des portefeuilles financiers a redémarré en 2023 : l’argent rapporte et les taux courts à 3%, et les taux longs d’Etat à 2.5/3 % sont une divine surprise pour les investisseurs qui n’avaient pas connu un tel environnement depuis 2008. Certes l’inflation est encore supérieure mais devrait baisser dans les prochains mois.

Les sicav monétaires vont rapporter 3% rapidement, tous les fonds adossés à la rémunération des taux (fonds d’arbitrage, fonds obligataires courts, produits structurés, …) vont être favorisés. Les obligations commencent aussi à rapporter, avec des rendements proches de 5% sur des échéances 3/5 ans avec des risques BB/ BBB. Enfin, quelques types d’actions vont aussi profiter de cet environnement taux à commencer par les banques ou les assureurs.

La gestion des portefeuilles va, nous l’espérons, s’en trouver grandement facilitée et c’est une très bonne nouvelle. Si en plus, la récession se transforme en soft landing, la casse sur les actions sera limitée et pourrait nous offrir une année 2023 positive, toutes classes d’actifs confondus.

Bonne année l’argent.