Une crise chasse l’autre : Le Covid nous aura tenu en haleine pendant exactement 2 ans et avait tendance à disparaître de nos conversations, il fallait nécessairement qu’une nouvelle crise arrive et c’est M. Poutine qui l’a décidée attendant sagement la fin des jeux olympiques d’hiver pour ne pas froisser son ami Xi. Nous vous disions en début d’année que si vous n’étiez pas dans la tête du Président russe, vous ne pouviez pas savoir ce qui allait se passer en Ukraine et contrairement à ce que disaient tous les grands prévisionnistes et autres spécialistes de la Russie, il est passé à l’acte. « La fin de l’histoire » chère à Fukuyama après la chute du mur de Berlin est définitivement enterrée. Nous sommes volontairement restés silencieux ces derniers jours, car nous ne voyons pas l’intérêt d’écrire sur des événements imprévisibles, à partir de faits qui seraient déjà périmés au moment où notre message vous parviendrait. Nous pensons continuer ainsi tant que la visibilité sera aussi réduite qu’actuellement, et nous préférons nous contenter de souligner quelques faits qui devraient guider notre analyse dans le futur.

Si beaucoup semblent vouloir considérer que le principal effet de la guerre en Ukraine sur le monde occidental est d’ordre économique, nous pensons que le vrai risque est sur le plan militaire. Il est toujours difficile de prédire ce qui peut se passer lorsque des hommes puissants dotés d’un ego surdimensionné tendance psychopathes se confrontent. Nous ne pouvons que constater que, Vladimir Poutine ayant définitivement perdu le respect de la communauté internationale, il n’a rien à perdre dans une fuite en avant. Son « track record » est impressionnant notamment en Tchétchénie, en Crimée ou au Donbass. La position de Pékin sera certainement déterminante sur plusieurs aspects : la Chine n’est probablement pas ravie d’avoir un voisin aussi turbulent, mais elle ne le dira pas trop fort car la situation actuelle lui permet d’obtenir une plus grande part de l’énergie et des produits agricoles russes, tout en testant la réaction potentielle du « reste du monde » en cas d’opération sur Taiwan.

Les perspectives économiques restent très dépendantes de l’issue militaire, et aucun scénario ne sera fiable tant que la visibilité ne s’améliorera pas sur ce plan. Quelques points semblent toutefois relativement clairs :

1. Des pressions inflationnistes supplémentaires vont se manifester car la Russie et l’Ukraine sont des producteurs clés de ressources pétrolières et de matières premières agricoles.

2. Toutefois, le plus gros risque est à notre avis celui d’une forte chute de confiance, chez les entreprises comme chez les consommateurs qui vont épargner de nouveau comme à l’époque du Covid. Après la déflation, puis la croissance inflationniste, le scénario le plus probable va être la stagflation. La géopolitique a pris le relais de la pandémie pour déstabiliser les économies en conjuguant une accentuation des pressions inflationnistes avec un frein à la croissance. « Back to the 70’s ! » de sinistre mémoire sur les marchés.

3. Les banques centrales ne peuvent pas grand-chose contre cela mais vont être obligées de limiter leur « agressivité » tant redoutée par les investisseurs : Le mouvement d’aversion au risque s’est évidemment renforcé provoquant un effondrement des taux souverains courts et longs en lien avec un dégonflement très rapide de la capacité de retrait des banques centrales. En repassant en territoire négatif, le taux à 10 ans allemand illustre non seulement la volonté des investisseurs de détenir des actifs sûrs mais également une BCE qui serait bloquée dans son resserrement monétaire (plus aucune hausse des taux directeurs n’est attendue par les investisseurs selon les courbes futures cette année vs +50 pb il y a encore quelques jours). Cela pèse sur l’euro alors même que les données d’inflation d’avant crise, étaient très élevées. Même si les Etats-Unis sont moins exposés, la question se pose également pour la Fed et la communication de J. Powell aujourd’hui devant la chambre des Représentants sera particulièrement suivie. La 1ère hausse prévue en mars pourrait être limitée à 0.25%. Cela devrait être donc favorable aux valeurs de croissance à duration longue comme les techs massacrées depuis le début d’année et résistantes depuis le début du conflit.

4. Les entreprises américaines seront en moyenne moins affectées que les sociétés européennes, car elles ont moins d’exposition directe au conflit. De plus, le dollar plus ferme devrait partiellement compenser les effets de l’inflation sur les produits de base. C’est le même cas pour la Chine et les pays émergents (hors pays de l’est européen naturellement) qui seront beaucoup moins impactés par le conflit. L’Europe que nous privilégions en ce début d’année va être la grande perdante en subissant la double peine : proximité du conflit et dépendance désastreuse au gaz russe.

5. L’écologie, le réchauffement de la planète et les valeurs ESG sont des thèmes toujours d’actualité mais il faut se rendre compte aussi qu’être indépendant énergétiquement de dictatures insupportables (Russie, Arabie, Irak,…) grâce notamment au nucléaire et avoir une industrie de défense si décriée par l’ESG sont vitaux pour notre avenir.

6. A l’heure où les déficits publics sont abyssaux et la dette à des niveaux stratosphériques, l’obligation des nations européennes de se réarmer va accentuer les problèmes de surendettement.

En conclusion, à court terme, le « paradoxe Poutine » réside en ceci que la crise ukrainienne marque la fin du repricing de la dette à l’oeuvre depuis 4 mois aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe, dans un contexte où la pression politique devrait dissuader les banques centrales d’ajouter de la pression à l’instabilité. M. Poutine a refermé, pour un temps, la fenêtre du choc des taux. La baisse des actions est bientôt terminée surtout sur le S&P 500, sauf escalade majeure supplémentaire de la soldatesque poutinienne.

A plus long terme, Il n’y a pas de profil optimal dans un environnement aussi incertain mais les conditions de la poursuite de l’inflation des actifs financiers ne sont plus réunies spécialement en Europe. Nous estimons que le positionnement des portefeuilles doit être revu avec moins d’actions, très peu d’obligations,moins d’Europe, plus d’Etats Unis et d’émergents, plus de techs défensives et bien sûr de l’or.